Les origines du collège
Avant la création des cégeps, c’était les collèges classiques qui desservaient l’enseignement professionnel aux élèves ayant la chance de poursuivre leurs études au-delà de l’École Normale. L’éducation était jadis sous le joug du clergé et des différentes congrégations religieuses le composant. En 1929, alors que s’abattait sur le monde une crise économique sans précédent, le Révérand Père Morin va fonder l’ancêtre du Collège de Maisonneuve, le Collège de l’Est, afin de répondre à un mandat de l’archevêque, celui de rendre plus accessibles les études classiques à la jeune population de l’Est de Montréal.
D’abord situé sur l’avenue Létourneux, l’école déménagera en 1934 sur la rue Sherbrooke, dans un espace plus vaste afin d’accueillir dorénavant 200 élèves. Le nouvel édifice sera fin prêt pour la rentrée (l’actuel pavillon A). Le nom du Collège sera changé pour celui d’Externat classique Sainte-Croix, pour prendre ensuite celui de Collège Sainte-Croix quelques années plus tard. Le Collège est strictement réservé aux garçons, qui sont logés, nourris et éduqués à peu de frais grâce aux dons de la congrégation des Pères de Sainte-Croix. Le développement de l’institution s’accélère malgré la crise économique, car les besoins sont immenses. Les élèves de familles pauvres peuvent même bénéficier de la gratuité scolaire.
Dans les années 1940, le Collège se distingua en accordant de plus en plus de place aux activités parascolaires. Le théâtre, qui jouissait d’un épanouissement un peu partout en Europe à l’époque, deviendra très populaire au Collège. L’école accueillera aussi des expositions de peintres québécois. Elle offrira désormais des cours d’histoire de l’art. Le Collège embauche également des professeurs laïcs qui enseigneront l’anglais et les sciences pures.
En 1948, le Collège achètera le château Dufresne (coin Sherbrooke et Pie IX) pour accueillir toujours plus d’étudiants. La philosophie, la rhétorique et la littérature seront enseignés dans ce nouveau pavillon. Désormais, une division géographique et académique sépare les élèves. Le Collège dispense les cours de niveaux secondaires avancés dans le pavillon A, tandis que l’enseignement classique (niveau collégial) est localisé au château Dufresne. Ces différences de scolarisation et donc d’âge, ainsi que le confinement dans des lieux séparés créeront par la suite, chez les étudiants, de forts sentiments d’appartenance envers leur pavillon respectif. Cette réalité finira par avoir des conséquences au niveau politique, car le Conseil de Maison, initialement créé au début des années 50, l’ancêtre de la SOGÉÉCOM, connaîtra de multiples scissions. Juste avant 1960, on assiste à la création de deux associations étudiantes distinctes, pour ensuite revenir à une seule association deux ans plus tard avec la nouvelle Association des Étudiants du Collège Sainte-Croix.
Puis, en 1960, le Collège termine la construction d’un autre pavillon (l’actuel pavillon B) comprenant un gymnase, des laboratoires, une bibliothèque, une chapelle, et une cafétéria. Plus de 800 élèves peuvent alors être accueillis au Collège Sainte-Croix.
En septembre 1964, deux associations étudiantes distinctes sont de nouveau créées, suite aux recommandations de la commission Richer, qui conclut à la non-compatibilité d’intérêts entre les élèves des différents pavillons. Malgré cela, on assiste à une phase d’organisation importante du milieu étudiant. Des structures démocratiques commencent à être installés et une forme de cogestion de la vie étudiante est établie par le biais d’une structure comprenant 4 étudiants, 2 professeurs et 2 administrateurs. De plus, les associations étudiantes obtiennent le droit de percevoir, à la source, une cotisation obligatoire. Le château Dufresne sera vendu à la ville de Montréal en 1965 et c’est la même année que le Collège ouvre enfin ses portes aux filles. La Librairie Coopérative du Collège de Maisonneuve verra le jour simultanément.
Les étudiant.e.s réalisent leur erreur quant à la séparation des associations et décident d’organiser un référendum en mars 1967 sur la question. Avec 52% de participation, 9 personnes sur 10 se prononcent pour la réunion des associations. L’Association Générale des Étudiants du Collège Sainte-Croix est née. Elle demandera son adhésion à l’Union Générale des Étudiants du Québec (UGEQ), un regroupement national d’associations étudiantes, et se définira elle-même, de plus en plus, comme un syndicat étudiant.
L’ère des collèges classiques prend fin en septembre 1967. Mort à Sainte-Croix, vive Maisonneuve! La transition sera marquée par une période de contestation sans précédent, mais le développement de l’institution continue de plus bel.
L’occupation de 1968
Inspiré par les mouvements étudiants et ouvriers français, le mouvement étudiant québécois explose en octobre 1968. Les étudiant.e.s réalisent leur rôle social déterminant. Une grande part de la population estudiantine sent l’urgence des revendications nationales et linguistiques. Il faut dire que nombreux sont ceux et celles qui craignent de ne pas pouvoir continuer leurs études au-delà du collège parce qu’il manque cruellement de places dans les universités francophones. On veut pousser la « révolution tranquille » à ses extrêmes limites. On réclame la création d’une nouvelle université de langue française à Montréal. C’est dans ce contexte effervescent que le mouvement des occupations des cégeps, auquel va participer activement le Collège de Maisonneuve, verra le jour.
Le corpus des revendications ne s’arrête pas à la question linguistique. Les étudiant.e.s, se définissant davantage comme de « jeunes travailleurs intellectuels », exigent la gratuité scolaire, le présalaire et la cogestion. Le régime de prêts et bourses déficient mis en place à la hâte par le gouvernement libéral ne réussit pas à anéantir les espoirs issus du rapport Parent, qui proposait ni plus ni moins une véritable gratuité scolaire à tous les niveaux. Les frais de scolarité avaient certes été abolis au collégial, dans le réseau public, et gelés au niveau où ils étaient à ce moment-là dans les universités, mais pas éliminés.
Avant que s’enclenche le mouvement des occupations, l’UGEQ dénonce les tergiversations du ministre de l’Éducation, Jean-Guy Cardinal, sur ces deux questions (aide financière et création d’une nouvelle université francophone). L’UGEQ envisage de ne plus revendiquer, mais de prendre les moyens appropriés pour faire plier le gouvernement. Le 8 octobre 1968, les étudiant.e.s du cégep Lionel-Groulx déclenchent une grève et débutent une occupation de leur école.
Le cégep de Maisonneuve se joint promptement au mouvement. Le 10 octobre, une assemblée générale décrète l’occupation du cégep et la suspension des cours. Les autorités politiques locales et nationales ne savent pas comment réagir face à ce qu’elles considèrent être un débordement inacceptable. Le mot d’ordre « pouvoir étudiant » se matérialise.
L’administration veut reprendre le contrôle de la situation et, plus spécifiquement, de ses installations. La police débarque pour faire cesser l’occupation. Les « leaders » étudiants sont ciblés, puis expulsés du cégep. Le 18 octobre, l’administration reprend possession de l’espace et exige la réinscription de l’ensemble des étudiant.e.s en vue de sa réouverture officielle le 28 octobre. Le retour en classe est synonyme de frustration. Les activités normales du cégep continuent d’être perturbées. Les autorités décrètent la suspension des émissions de radio le 13 novembre. Ensuite, le 18 novembre, l’administration impose de nouvelles règles inédites : interdiction de distribuer des tracts et de tenir des assemblées générales. Les locaux de l’association sont scellés. Les récalcitrants seront expulsés du cégep.
Suspension du droit d’association, de la liberté de presse et de la liberté de parole, expulsion de plusieurs étudiant-e-s engagé-e-s… l’administration ne fait pas de cadeau. Ce sont les premiers épisodes de répression politique au cégep. 100 élèves seront expulsés pendant l’année scolaire. Certain-e-s d’entre eux et elles seront réintégré-e-s au terme d’un processus particulièrement humiliant. Ils et elles doivent s’engager par écrit à stopper toute activité politique subversive. D’autres refusent carrément la signature du contrat. Le même scénario se répète dans les autres institutions où le mouvement des occupations s’est étalé, à quelques variantes près.
C’est donc dans une répression féorce que s’achève la contestation étudiante québécoise de l’automne 1968, qui s’avère être la première des huit grèves générales étudiantes qu’a connu le Québec. Ce vent de contestation sociale, où le mouvement étudiant est fortement représenté, se sera étendu en 1968-69 aux quatre coins du globe (États-Unis, France. Allemagne, Mexique, Tchécoslovaquie, etc.). Au Québec, suite au mouvement de 1968, de nombreux débats éclatent sur les perspectives du mouvement étudiant au sein de ses militant(e)s. Une partie importante de ces dernier(e)s préconisent la dissolution pure et simple des syndicats étudiants afin de privilégier des organisations politiques d’avant-garde d’allégeance marxiste-léniniste. La liquidation des syndicats étudiants entraînera un recul important de la mobilisation étudiante durant quelques années.
En somme
Comme on vient de le voir, c’est au cours des années 60 que l’action étudiante telle qu’on la connaît aujourd’hui voit le jour au Québec. À cette époque, les associations étudiantes locales se dotent de principes syndicaux hérités du mouvement étudiant français alors inspirés par la Charte de Grenoble de 1946, qui définit les étudiant(e)s comme de jeunes travailleuses et travailleurs intellectuel(le)s en formation.
La parution du rapport Parent et la mise en place de ses recommandations au début des années 60 entraîne une démocratisation du système d’éducation post-secondaire et ouvre la porte de ce dernier à une partie de la classe moyenne et des couches populaires. Avec l’apparition des cégeps en 1967 et le réseau de l’Université du Québec en 1969, le monde de l’éducation est soudainement transformé ainsi que sa composition sociale. C’est dans ce contexte général que le mouvement étudiant québécois se développe.
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