Les années 1990: Réformes, déficit zéro et corporatisme étudiant…
Loin de vouloir idéaliser l’histoire du mouvement étudiant pré-1990, il faut avouer que la période qui sera relatée dans les prochaines pages est probablement la moins glorieuse. Avec le recul des mouvements sociaux, le mouvement étudiant québécois doit opérer dans un contexte fort différent. Néanmoins, plusieurs évènements encourageants qui se déroulent dans la deuxième partie de la décennie laissent entrevoir des perspectives plus prometteuses. En fait, pour le mouvement étudiant québécois, les années 90 s’ouvrent avec la plus cuisante défaite qu’il ait subi depuis sa naissance dans les années 60. Après la tentative du gouvernement Bourassa de dégeler les frais de scolarité en 1986, ce dernier revient à la charge en annonçant son intention de dégeler les frais durant les congés de Noël 1989-90.
Pour contrer l’offensive gouvernementale, l’ANEEQ se doit dans un premier temps de négocier avec une nouvelle actrice, la Fédération des étudiantes et étudiants du Québec (FEEQ). Cette dernière se constitue en 1989 sur un refus du syndicalisme étudiant et du principe de gratuité scolaire. Comme moyen d’action, elle prône le lobbying, niant ainsi l’antagonisme fondamental entre le mouvement étudiant et l’État.
Ainsi, la grève de 1990 ne sera pas un succès. La grève ne sera pas déclenchée avant le 10 mars alors que l’association étudiante du Cégep de Rimouski part seule. C’est seulement une semaine plus tard que d’autres associations locales suivront. La mobilisation n’est pas massive; le gouvernement ne recule sur rien. C’est le début de la fin pour le syndicalisme étudiant incarné par l’ANEEQ depuis 1975. Maintenant les corporatistes ont toute la place. La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) est créée à partir d’un noyau d’associations opposées dès le début à la grève. La FEEQ change alors de nom pour FEUQ.
À l’hiver 1993, Lucienne Robillard, alors ministre de l’Éducation, annonce une importante réforme du réseau collégial. Certains éléments lancés par cette réforme font d’ailleurs encore partie des plans du Ministère, comme entre autre le démantèlement du réseau collégial. Elle instaure aussi l’ancêtre de la fameuse taxe à l’échec qui sera abolie, puis introduite sous une autre forme par le PQ en 1997. Dans ce contexte, 6 cégeps, dont 5 membres de l’ANEEQ, tentent alors de contrer cette réforme. Maisonneuve en fait partie et quelques jours de grève sont enclenchés. Les syndicats de professeur(e)s s’opposent aussi aux politiques de Robillard. Malheureusement, le mouvement reste concentré à Montréal et la réforme passe comme dans du beurre. Au collège, l’administration décide de mettre des bâtons dans les roues de la mobilisation. Le directeur général de l’époque, M. Leduc, fait appel à l’escouade tactique pour empêcher les grévistes de bloquer le cégep. La police procèdera à 44 arrestations.
Au national : réforme Axworthy et déficit zéro
C’est dans le contexte de décomposition de l’ANEEQ que s’engage la lutte pan-canadienne contre la réforme Axworthy. En 1994, le gouvernement fédéral annonce des modifications à l’assurance-chômage et coupe une partie des paiements de transfert aux provinces, ces sommes servant à financer en partie les programmes sociaux. Bien que désorganisé au niveau provincial, le mouvement étudiant québécois se lance néanmoins dans la mêlée. La Coalition X réunira alors les principaux syndicats étudiants de lutte et travaillera au niveau pan-canadien en collaboration avec la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (FCEE) afin de contrer les projets du fédéral.
Trois grandes manifestations seront organisées au Québec pour l’occasion. À Maisonneuve, quelques débrayages sporadiques ont lieu. La participation sera massive, plusieurs centaines d’étudiant(e)s du collège participent à la mobilisation. Lors d’une manifestation à Ottawa le 16 octobre 1994, la SOGÉÉCOM réussi à envoyer 12 autobus scolaires!
La mobilisation contre Axworthy marque un tournant pour la recomposition syndicale au niveau québécois. Les éléments les plus avancés de la Coalition X envisagent la création d’une nouvelle organisation nationale. Ce sera chose faite le 15 mai 1995 alors qu’est fondé le Mouvement pour le droit à l’éducation (MDE). La SOGEECOM adhère à la nouvelle organisation à l’automne 1995. Elle en sera membre durant les cinq ans d’existence du mouvement.
La mobilisation, bien que non victorieuse, amorcée par la Coalition X et poursuivie par le MDE mènera à la grève générale de 1996. Elle est la septième grève générale étudiante québécoise. En effet, après avoir procédé à des coupes de 400 millions en éducation à l’hiver 1996, le gouvernement péquiste annonce à l’automne de la même année une coupure de 700 millions. De plus, le gouvernement songe à dégeler les frais de scolarité, il impose la cote R et poursuit son objectif de déficit zéro. Dès septembre, le congrès du MDE lance le mot d’ordre de grève générale illimitée. Le 24 octobre, l’AG de la SOGÉÉCOM part en grève seule. Très rapidement, le mouvement fait tache d’huile : 43 institutions collégiales sur 45 participeront au mouvement.
La grève s’éteint quelques jours après le 20 novembre alors que Pauline Marois, ministre de l’Éducation, annonce le gel des frais de scolarité. La mobilisation est une victoire partielle, car d’un autre côté, le Ministère maintient ses coupes budgétaires, la cote R, procède à une modification désavantageuse du système d’aide financière, impose la «taxe à l’échec» et augmente les frais de scolarité pour les étudiant(e)s provenant de l’étranger et du reste du Canada, avec l’accord de la FEUQ et de la FECQ.
Au local : Confrontations fréquentes avec l’administration
Au sein des murs du collège, la SOGÉÉCOM doit toujours se battre contre l’administration, même après une implantation d’une vingtaine d’années. À plusieurs reprises la direction tente de s’immiscer dans le fonctionnement de la SOGÉÉCOM. Par exemple, en février 1996, vers la fin de la lutte contre Axworthy, le directeur général du collège, Guy Lefebvre, refuse de reconnaitre le vote de grève de l’AG de la SOGÉÉCOM. Immédiatement, le conseil exécutif de l’association réplique. On dénonce l’ingérence de l’administration dans les affaires syndicales à l’aide d’un Sogéécommuniqué et on exige que le directeur général vienne à la prochaine AG affirmer qu’il reconnait l’autonomie de l’association. II ne se présentera finalement pas, mais par voix de communiqué l’administration finit par accepter le vote.
L’administration, dans son ingérence, ira jusqu’à piger, durant l’été 2000, à même les cotisations étudiantes, qui ne lui appartiennent en aucun cas même si elle les perçoit, pour payer des factures de ménage suite à une campagne d’autocollants. Après dénonciation et moyens de pression, sans résultat, la SOGÉÉCOM occupe finalement le bureau du directeur général le 26 octobre. Les occupant-e-s exigent que l’administration rembourse la totalité des cotisations étudiantes et que l’administration retire l’ensemble des panneaux ZOOM-MEDIA du collège (nous reviendrons plus tard sur la deuxième revendication). Le conseil exécutif de la SOGÉÉCOM parvient à une entente avec l’administration durant l’hiver 2001.
Autre lutte importante pour la SOGÉÉCOM, le projet ORBITE. Avec ce projet, le collège décide de se doter d’une approche clientéliste et élitiste. On crée un sous-programme de technique informatique avec des ordinateurs portables. Le problème est que les étudiant(e)s doivent débourser 3 200$ pour se procurer l’engin et que les inscriptions sont limitées à une classe. Le projet est discuté à partir de l’automne 1998. En mars 1999, l’AG de la SOGÉÉCOM se prononce contre le projet. Des étudiant-e-s en informatique font part de leurs inquiétudes face à ce nouveau projet : ils et elles y voient une menace à la validité de leur diplôme et participent fortement à la mobilisation. Le nouveau programme ouvre pour l’année scolaire 1999-2000. Après une campagne qui dure près de deux ans, la SOGÉÉCOM gagne son point et le projet ORBITE est abandonné en avril 2000.
Toujours à l’interne, la privatisation rampante qui menace l’éducation publique au Québec s’infiltre dans le collège. On commence par créer la Fondation, qui débute ses opérations en 1995-96, suite aux nombreuses coupes budgétaires. Par le billet de cette dernière, des panneaux publicitaires de la compagnie ZOOM-MEDIA apparaissent durant l’année 1999-2000. Le collège vend dorénavant ses murs. Comme toujours, la SOGÉÉCOM ne laisse pas les choses ainsi. Une campagne et des actions sont lancées. L’AG se prononce à plusieurs reprises pour le retrait de la publicité. Des militant-e-s décident individuellement de se charger du problème en attaquant les panneaux publicitaires. Quelques un-e-s d’entre eux et elles sont expulsé-e-s du collège. L’administration passe en mode répressif, refusant de reconnaître le caractère politique de ces actions, et accusant les étudiant-e-s de vandalisme. Dans plusieurs cas, l’administration ne possède pas de preuve et s’attaque à des militant-e-s affiché-e-s de la SOGÉÉCOM. Gilles Sauvé, directeur des affaires étudiantes, et Marcus Morin, responsable de la sécurité, vont même jusqu’à encourager la délation, méthode digne de la Gestapo.
Le 11 mars 2002, le syndicat des professeur-e-s, le syndicat des professionnel-le-s, le syndicat des employé-e-s de soutien et la SOGÉÉCOM exigent que le collège rompe le contrat avec ZOOM-MEDIA et demandent le retrait des panneaux publicitaires. L’administration cède.
Vent de droite et luttes sociales
La SOGÉÉCOM doit aussi se battre contre la vague de droite au sein du mouvement étudiant. Comme dans les années 80, le PQ et ses militant-e-s tentent d’inféoder le mouvement étudiant. En 1998-99, des activistes du PQ étudiant au collège et de l’extérieur s’attaquent à la SOGÉÉCOM et demandent la désaffiliation du MDE. Ces sombres individus s’allient pour l’occasion avec des militants proto-fascistes qui sévissent au TDU et se constituent dans un groupe nommé la Droite étudiante de Maisonneuve. Ils utilisent des symboles de l’armée allemande de la Deuxième guerre mondiale pour s’identifier. Trois militants péquistes utilisent des moyens frauduleux et l’usurpation d’identité pour commettre leur forfait. Le 27 avril 1999, les réactionnaires sont démasqués. Dans un Vivoir bondé, ils se font battre sur toute la ligne. L’affiliation au MDE est maintenue par un vote presqu’unanime.
Au niveau des luttes sociales plus larges, la SOGÉÉCOM appuie la lutte des sans-papiers chilien-ne-s durant l’année 1998-99. Elle participe aussi aux luttes anti-racistes et anti-fascistes dans Hochelaga-Maisonneuve en 1992, alors que des crimes racistes sont perpétrés par des néo-nazis dans le quartier. La SOGÉÉCOM participe également à la mobilisation contre l’intervention militaire en Irak en 1990-91, et participe à la mobilisation contre la guerre du Golfe. À l’hiver 1997, la SOGÉÉCOM participe à la consultation populaire internationale pour l’humanité et contre le néo-libéralisme initiée par la guérilla zapatiste au Mexique. Cette consultation fait partie du plan d’action du MDE et la campagne est menée conjointement avec plusieurs groupes progressistes au Québec.